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Édito trimestriel 2019/2

Mal Identifié, PAS respecté !   par Jacques STEIN

Pouvoir préciser la nature du vivant, son type, sa catégorie, pouvoir dire ce que c’est, le nommer, c’est aussi l’identifier.Avoir de la considération pour le vivant, ne pas lui porter atteinte, c’est aussi le respecter.
L’un ne va sans doute pas sans l’autre…
Comment respecter quelqu’un qu’on traite de réfugié, de migrant, de SDF, … en niant son identité personnelle, ses qualités, ses compétences, son histoire, … ?
Comment respecter la Biodiversité si on se contente d’injecter de temps à autre le mot dans un discours parfois bien chargé de bonne conscience, ou en le remplaçant par d’autres termes soi-disant plus faciles à comprendre par le brave peuple.
Ce qu’il faut évidemment, c’est faire apparaître la Biodiversité là où cela peut avoir un réel impact sur son identification et dès lors sur son respect, sa meilleure prise en compte et prise en charge.

Les mauvais exemples… Il y a peu, le Conseil Supérieur Wallon de la Conservation de la Nature, à l’intitulé sans doute trop prestigieux, a été supprimé au profit d’une section Nature au sein d’un pôle ruralité. ça fait moderne sans doute, mais ça rend invisible… Pourquoi pas un pôle Biodiversité ?

On a déjà eu l’occasion par le passé de préciser les différents termes qui gravitent autour de la Biodiversité. La Biodiversité : c’est le vivant. La Nature : c’est le vivant et le non-vivant résultant de phénomènes naturels, c’est-à-dire largement hors de portée de l’homme : l’eau, le sol, les roches, le climat, les océans, … qui ont été constitués au fil de l’évolution de la planète et donc bien avant que l’homme ne viennent mettre tout cela manifestement en péril (voir à ce sujet le rapport de l’IPBES[1]). Et il y a bien sûr de la biodiversité dans l’eau, dans le sol, dans les roches, dans l’océan, …mais on y observe aussi des pratiques parfois très intensives : l’agriculture, la sylviculture, la chasse, la pêche, l’exploitation des roches et des minéraux précieux (pour l’homme !), le tourisme de masse, … Et là, la réglementation « Nature » n’a pas droit de regard… Car si la vénérable loi sur la Conservation de la Nature (1973) « tend à  sauvegarder le caractère, la diversité et l’intégrité de l’environnement naturel par des mesures de protection de la flore et de la faune, de leurs communautés et de leurs habitats, ainsi que du sol, du sous-sol, des eaux et de l’air, elle ne vise pas à  réglementer l’exploitation agricole et forestière », ni la chasse, la pêche, l’exploitation des ressources minières ou le tourisme, qui ont leurs propres réglementations « verticales ».

En 2001, lors de la plus importante modification de la loi de 1973, le décret du 06 décembre aurait pu être intitulé « Décret sur la Biodiversité », remettant ainsi les pendules à l’heure. On lui a préféré un « Décret Natura 2000 ». À une « Stratégie sur la Biodiversité », qu’on fait, défait et refait depuis près de 40 ans, on préfère un « Réseau Wallonie Nature ». Dans les priorités du Conseil économique, social et (récemment) environnemental de Wallonie, la Biodiversité est noyée dans une « Stratégie globale pour la ruralité ». Dans le rapport sur l’état de l’environnement wallon de 2017, pourquoi le chapitre « Faune, flore et habitats » n’est-il pas le chapitre « Biodiversité » ? En matière d’éducation, et tout en étant conscient qu’il ne se passe rien ou si peu dans le secteur scolaire, on est à nouveau dans la même configuration…  . L’éducation à la Nature a été rangée au fond d’un tiroir de l’ErE (Éducation relative à l’Environnement) censée tout couvrir… Etc., etc., …

La situation est d’autant moins visible que, 9 fois sur 10, le ministre wallon de l’environnement n’est pas le même que le ministre de la Nature, matière qui regroupe également les forêts, la chasse, la pêche, dont les lobbyings sont largement plus puissants que celui (s’il existe) de la Biodiversité. Les budgets respectifs en disent sans doute long à cet égard.

Tout cela explique en grande partie pourquoi le grand public ne voit pas trop bien de quoi il s’agit quand on lui parle de Biodiversité. Il ne peut pas se référer à une législation explicitement consacrée à la Biodiversité, ni à une administration spécifiquement consacrée à la Biodiversité, ni à une éducation orientée vers la Biodiversité, ni à des documents sur le sujet, ni, ni …

Et donc : mal identifié, mal connu, mal évalué, mal respecté… Chiens courant en liberté « hors-pistes » dans les bois et les réserves naturelles, circulation sur les chemins non carrossables avec des engins motorisés, dispersion de groupes hors des sentiers prévus, certains photographes sans foi ni loi, … au détriment des nidifications au sol, des périodes de reproduction, des naissances, de la tranquillité lors des extrêmes climatiques, …, lâchage dans la Nature d’animaux exotiques devenus encombrants, braconnage (notamment de batraciens protégés), pêche sauvage, dépôts de déchets (notamment de jardin), … mais aussi surexploitation et intensification de toute nature, gestion calamiteuse des espaces verts autoroutiers, pollution lumineuse, barrage, … Le tout sans le moindre égard pour le vivant avec lequel nous co-évoluons et dont nous sommes pourtant totalement dépendants, qu’on le veuille ou non.

Ce qui manque à l’évidence à la Wallonie, c’est une plateforme régionale de coordination en matière de Biodiversité, dotée de moyens qui la rendent visible et efficace. C’est la recherche d’une lisibilité institutionnelle de la Biodiversité. C’est une stratégie pour stopper la perte de Biodiversité. C’est une gestion beaucoup plus patrimoniale du vivant. C’est une revalorisation de la fonction consultative en matière de Biodiversité. C’est la mise en place d’un accord-cadre de recherche et de vulgarisation en matière de Biodiversité, selon un plan quinquennal. C’est une reconnaissance du travail des associations œuvrant à la reconquête de la Biodiversité et des Paysages et une augmentation en rapport des moyens qui leur sont octroyés.

[1] https://www.ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr

Mais où est donc passée la Biodiversité ? Éditorial trimestriel 04-18 par Jacques STEIN.

On le sait bien sûr ! Là où elle conserve toujours ses caractères taxonomique, génétique et fonctionnel, on la trouvera dans les « Hotspots » de la Biodiversité, comme l’Amazonie (du moins tant que les nouveaux gouvernants ne l’ont pas saccagée irrémédiablement). Dans nos contrées, vu les petits espaces qui lui sont dédiés, seuls les aspects taxonomique et génétique peuvent être mis en exergue ; mais, fonctionnellement, c’est largement insuffisant, l’espace étant bien trop fragmenté pour un fonctionnement global efficace de notre environnement naturel…
Soit ! Mais c’est plutôt au niveau des programmes préélectoraux (communal récemment passé et régional et/ou fédéral et/ou européen à venir) que la question mérite d’être posée.
Car, quand le thème est évoqué, c’est rarement dans le top 10 des préoccupations des candidats ou alors c’est en termes très généraux, sans actions concrètes et efficientes très « contraignantes » pour la législature à venir.
On verra plus tard, quand les autres problèmes auront été réglés, et s’il reste des sous !
Comme on fait pour le climat ! Cela fait 30 ans que le G.I.E.C. propose des actions, des limites à ne pas franchir, des évaluations des retombées sociales, économiques et environnementales, des estimations des coûts de l’inaction  (plus on tergiverse, plus ça coûte) … Résultat : il n’y a jamais eu autant de rejets de CO2 dans l’atmosphère… et de gilets jaunes dans les rues. Ça peut se comprendre : quand on taxe les combustibles fossiles pour protéger la planète et que, simultanément, on abat des milliers d’arbres le long des autoroutes, des routes et dans les parcs publics, les faisant ainsi passer du statut de « puits de carbone » à celui de gaz à effet de serre…Comment s’y retrouver ? On aurait par ailleurs tort de penser que le problème du climat une fois réglé, on peut la jouer cool vis-à-vis de la Biodiversité. Il y a certes des liens entre changement climatique et Biodiversité, mais pas que. La crise de la Biodiversité est aussi liée à l’urbanisation, à la surexploitation des ressources, aux espèces exotiques envahissantes, à la fragmentation de l’espace, à la disparition des habitats favorables à la Biodiversité, …
La COP 24 Climat, en Pologne, a d’ailleurs envoyé aux oubliettes les résultats de la COP 14 Biodiversité qui se terminait en Egypte (sans tambours ni trompettes) au moment même où commençait la COP Climat. Certes les deux ont été laminées à leur tour par le Pacte de l’ONU sur la migration ou du moins par ses conséquences sur la célèbre musculation préélectorale belgo-belge… Peut-être qu’une grande marche citoyenne pour la Biodiversité… ??
Bref, en Belgique, la loi sur la Conservation de la Nature a été adoptée en 1973, soit il y a 45 ans. Avec un élément phare depuis le début : la création de réserves naturelles. Il y a aujourd’hui 9.819,29 ha de Réserves Naturelles Domaniales en Wallonie, soit la création en moyenne de 218 hectares par an, soit 0,01 % du territoire par an en moyenne. Si on cumule tous les statuts de protection actuels (et en ne tenant pas compte de certaines lasagnes de statuts qui encombrent un même site), le principal instrument de conservation de la Nature en Wallonie couvre donc au grand maximum : 236.124,8 hectares ou 14% du territoire wallon, dans des espaces qui sont d’ailleurs de moins en moins dévolus prioritairement à la Biodiversité. C’est le cas de nombreux sites Natura 2000 dans lesquels subsistent des exploitations agricoles et forestières classiques et de nombreuses réserves naturelles dans lesquelles, notamment, la chasse n’est plus une dérogation mais la règle générale.
À la fin de chaque législature régionale, on relance un peu la mécanique. Ainsi cette fois-ci, à 5 mois des élections, le Ministre concerné lance les Ateliers de la Biodiversité , dont l’objectif est de proposer une série de recommandations, en faveur de la nature et de la prise en compte de la biodiversité dans les politiques, les plans, les pratiques et les projets : faire un focus sur l’état de la biodiversité et des écosystèmes, partager des pratiques inspirantes, débattre des enjeux sociétaux. Des recommandations certes (les mêmes sans doute qu’en 1989 à l’occasion du Colloque Gérer la Nature ?, répétées ensuite en 1995 à l’occasion de l’Année Européenne de la Conservation de la Nature), mais toujours pas de véritables actions, … après 45 ans ! Quelle ardeur d’avance…
Cette initiative un peu précipitée, pourrait faire penser à une contre-offensive en réponse à une proposition Écolo d’organiser des Assises[1] de la Biodiversité en vue notamment d’élaborer une stratégie En fait c’est comme ça à peu près tous les 5 ans. Nos élus régionaux prennent les choses en main, puis le Ministre vient avec une proposition matamoresque balayant toutes leurs réflexions antérieures : laissez, je m’en occupe !. Et comme ces nouvelles propositions ministérielles devront être gérées par le Ministre suivant, qui estime généralement que son prédécesseur n’a pas fait ce qu’il fallait et qui met le dossier sous la pile, ou qui a d’autres préoccupations, gageons qu’elles n’aboutiront pas plus que les précédentes.[2]
Qu’on en juge : depuis 1995, de nombreux projets ont vu le jour avec tout d’abord le Plan d’Action pour la Protection de la Nature prévu dans le Plan Wallon de l’Environnement pour le Développement Durable ; il est devenu au fil du temps le projet de Plan d’Action pour la Nature (1999), puis le projet de Plan d’Action pour le Développement de la Nature (2003), puis, en 2006, le projet de Stratégie wallonne de la Biodiversité : Objectif 2010, rapidement suivi d’un projet de Plan de Progrès pour la Nature, puis d’un projet de Plan Régional pour la Biodiversité 2009-2014, rapidement transformé, à nouveau, en un Plan de Progrès pour la Nature 2010-2015. Au printemps 2011, une idée de projet intitulé Plan 100% Nature était à nouveau timidement lancée, sans aucune suite à ce jour. On appréciera notamment le va et vient entre Nature et Biodiversité dans les intitulés. Bref des projets parfois très fouillés et complets, mais manifestement très malaisés à concrétiser de façon opérationnelle. Un Réseau Wallonie Nature, sorte de catalogue d’actions possibles en faveur de la Biodiversité, a été lancé en mai 2015. Calé depuis plusieurs années à la page 153 sur 230 prévues …
Le 11 décembre 2018 (journée de lancement des Ateliers), on devrait donc réfléchir à nouveau à des recommandations autour de ce catalogue [3]. Mais, vu les nombreuses actions contradictoires sur le terrain, on n’arrive visiblement pas à sortir cette problématique de l’ornière, c’est dire aussi l’intérêt qu’on y porte en général…
En attendant, une enquête publique a été clôturée le 05 décembre 2018 sur les liaisons écologiques, éléments importants d’une stratégie de la Biodiversité, mais lancée à l’initiative du Ministre chargé de l’Aménagement du Territoire dans le contexte du Schéma de Développement Territorial.
Que nous réserve alors 2019, en dehors d’un optimisme béat et de façade, 24 ans après le premier projet de plan pour la Nature, lui aussi précédé à l’époque d’une grand-messe qui s’était déroulée à Floreffe ?
On en saura peut-être plus lors de la campagne électorale 2019 et surtout dans la déclaration de politique régionale 2019-2024 qui en résultera…
Et dans les communes ? Quelle priorité a-t-elle été donnée pour les 6 années à venir aux préoccupations relatives à la Biodiversité ?
Prenons Ferrières… au hasard. Il y avait 2 listes en présence.
La liste qui a obtenu la majorité le 14 octobre dernier propose comme actions concrètes pour l’avenir :

    • un plan d’action pour atténuer l’impact des changements climatiques (biodiversité, inondations, tourisme, …)
    • la relance de l’intérêt des habitants pour le PCDN et le renforcement du rôle du PCDN dans la sensibilisation de la population à l’accueil de la biodiversité au jardin
    • la labellisation de cimetières-nature et la végétalisation de certains espaces
    • un programme élargi de fauche tardive des bords des routes beaucoup plus strictement gérés en collaboration avec l’équipe technique du SPW
    • après l’acquisition par la commune de 2 parcelles à Wésomont destinée à agrandir la réserve naturelle, des travaux de restauration des mégaphorbiaies, l’approfondissement de la mare existante et creusement d’une nouvelle mare, clôture de l’ensemble afin de pouvoir assurer la gestion du site par du pâturage extensif (avec la collaboration de Natagriwal et des budgets du Plan de Développement Rural de Wallonie).
    • le classement ou l’acquisition de plusieurs sites possibles, comme les prairies humides jouxtant la toute prochaine école de Bosson (projet nature didactique)
    • le renforcement de la synergie d’action avec le Genévrier, expert en la matière depuis longtemps à Ferrières
    • le lancement d’autres actions « envisageables » : compléter la liste des arbres remarquables, concours pelouse fleurie, recensement hirondelles,…

Quant à la seconde liste, qui n’a pas obtenu la majorité le 14 octobre, elle prévoyait dans son chapitre 9 consacré à la ruralité, l’environnement et le tourisme :

  • de rassembler, soutenir et dynamiser les structures en place sur la commune, actives en matière de protection de la Nature et de la Biodiversité
  • de relancer et de mettre en œuvre les actions définies précédemment dans le PCDN
  • de mettre en place un comité de concertation permanent avec le Genévrier
  • d’organiser, structurer et pérenniser les journées de découverte de nos richesses et de notre patrimoine.

À chacun évidemment de juger de la pertinence des actions proposées (sans estimations budgétaires concrètes !). Quoi qu’il en soit, nous ferons régulièrement écho aux réalisations mises en œuvre à Ferrières à partir du 1er janvier prochain.

[1] Il existe chez nos voisins français, annuellement depuis 2011, des « Assises nationales de la Biodiversité ». On y retrouve de nombreux acteurs parfois « inhabituels » de la Biodiversité : les maires, rassemblés au sein de l’association des « Eco Maires », les entreprises et les grandes industries, la Caisse Nationale des Dépôts et Consignations, des organismes financiers, le Conseil Économique, Social et Environnemental, les Administrations et Agences concernées, les institutions de recherches, les associations de Protection de la Nature,… On y a discuté de l’Agence Nationale de la Biodiversité, de la mise en œuvre de la trame verte, bleue, brune, …, des espèces envahissantes, de la biodiversité des sols, de l’éducation,…  Et tous ont à cœur lors de chaque édition de venir exposer les résultats de leurs actions.

[2] On espère se tromper évidemment…

[3] « Le sillon belge » a publié un compte-rendu de cette journée sous un titre assez symptomatique (« La Wallonie réfléchit (!) à un plan pour mieux protéger la biodiversité ») et optimiste (près de 500 participants alors que la liste des inscriptions « obligatoires » affiche 170 inscrits).